Big Brother vous regarde – Une nouvelle

Comme l’année dernière l’association Lennvor et la médiathèque François Mitterrand au Relecq-Kerhuon ont organisé un concours de nouvelles dans le cadre du ”15ème Salon du livre” le 30 novèmbre 2014.

Le sujet du salon de cette année était “Le roman, quelle histoire!” Les nouvelles devaient commencer ainsi : “Qui a oublié ce roman?”

Quand j’ai vu le sujet du salon du livre et de la nouvelle, le roman de George Orwell “1984” m’est venu à l’idée. Un roman écrit en 1948 mais qui n’ont jamais eu autant d’actualité qu’aujourd’hui. Orwell n’aurait probablement jamais pu s’imaginer l’envergure de la surveillance en 2014.

C’était en avril 1984 que Winston Smith, le protagoniste de roman „1984“, commence à écrire son journal. Pour qui écrit-il? Sa réponse : Pour l‘avenir. Pour les gens qui ne sont pas nés.

Cela m’a donné l’idée d’envoyer le roman „1984“ dans le monde par BookCrossing, exactement 30 ans plus tard, en avril 2014. En anglais, français et allemand. J’ai mis en route les livres sur mon propre pseudo. Ils sont partis du Relecq-Kerhuon et j’ai reçu des nouvelles et des commentaires pour plusieurs de ces livres.

Pour la nouvelle du concours j’ai inventé le pseudo “Quinou2014”, et j’ai inventé les commentaires mais j’ai écrit ces commentaires sur la base des informations factuelles.

Selon les règles du concours la nouvelle devait avoir un maximum de trois pages dactylographiées. Dans le texte de ma nouvelle ci-dessous j’ai ajouté une image.

Avant de pouvoir envoyer ma nouvelle pour le concours j’avais besoin d’aide pour éliminer les erreurs de langage. Un grand merci à mes amis Lise, Babette et Marc qui ont corrigé le texte !

Sur le site de Lennvor vous pourrez voir qui a gagné le concours de 2014. Je n’ai pas gagné mais j’aime l’écriture et si je trouve intéressant le sujet du prochain Salon du livre, je me mettrai de nouveau à l’œuvre.

Ci-dessous la nouvelle “Big Brother vous regarde”. Je serai contente de lire vos commentaires. Bonne lecture !

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Big Brother vous regarde

« Qui a oublié ce roman ? »

C’est tôt le matin. Per-Félicien et sa soeur Julia viennent d’arriver en ferry de Saint Malo. Per-Félicien redit à haute-voix la question et lève au ciel le livre qu’il a trouvé sur une petite table dans le hall de la gare maritime de Portsmouth. Mais personne ne montre d’intérêt pour le livre.

« Bizarre… Le titre et le nom d’auteur ont été noircis par l’éditeur Penguin. » Il ouvre le livre et le tend à sa soeur. « Le titre et l’auteur sont à l’intérieur. 1984. Écrit par George Orwell. « 

Julia fronce les sourcils. « 1984 ? Pourquoi ont-ils noirci ce titre sur la couverture ? »

« Aucune idée. Mais voici, la surprise numéro deux ! Ce livre n’était pas oublié. » Per-Félicien lui montre un autocollant au verso de la couverture expliquant qu’ils ont trouvé un livre voyageur enregistré sur le site Internet de BookCrossing où on peut suivre son trajet.

Julia se connecte aussitôt sur Internet avec son smartphone pour en apprendre plus sur le livre. « Il est enregistré par un Quinou2014 et mis en route dans une ville en Bretagne. » Elle regarde la caméra au plafond du hall. « Si on pouvait voir la vidéo de la caméra qui nous observe, nous saurions qui a déposé 1984. »

« Nous voilà ! Welcome to England ! »

Per-Félicien et Julia se tournent vers leur oncle Brian et tante Mari-Françoise. Ils sont venus les chercher accompagnés de leur fille ainée Cathy qui a 16 ans comme sa cousine Julia et est de trois ans la cadette de son cousin.

Peu après cet acceuil chaleureux les trois jeunes sont assis sur la banquette arrière de la voiture et étudient le livre trouvé, pendant que l’oncle conduit en direction de la maison.

Quinou2014 a laissé un message aux lecteurs qui donne aux trois une idée du sujet :

Big Brother vous regarde !

Orwell n’aurait probablement jamais pu s’imaginer l’envergure de la surveillance d’aujourd‘hui… Par l’État et par des entreprises commerciales… Secret et moins secret… Implicitement accepté par nous avec l’utilisation d’Internet, des smartphones, GPS…

Quelles pensées vous viennent pendant la lecture du roman d’Orwell „1984“ ? Je suis curieux de lire vos commentaires sous le numéro BCID sur www.bookcrossing.com.

« Vous parlez du roman 1984 d’Orwell ? » L’oncle les regarde dans le rétroviseur. « Je l’ai lu au lycée. A mon avis on ne doit pas comparer la surveillance dans le roman avec celle de nos jours. La surveillance d’aujourd’hui est plutôt utile que menaçante. Pensons à la sécurité des enfants par exemple. J’ai installé une application de géolocalisation sur les portables de tous mes enfants qui me permet sur mon smartphone de voir l’endroit où ils sont et leurs trajets parcourus. Et s’ils sortent de la zone géographique convenue je reçois une alerte sms automatique. On peut les retrouver immédiatement si quelque chose arrive. »

« Ça conforte la confiance en nos enfants. On peut vérifier s’ils font ce qu’ils nous ont dit. » La tante se tourne vers Per-Félicien et Julia. « Vous n’avez pas une telle appli ? »

« Je n’accepterais jamais que mes parents s’attachent à mes pas à l’aide d’une appli ! » On pouvait entendre l’indignation de Per-Félicien. « Voudrais-tu que ton mari te suive ainsi ? »

« Moi, je n’ai rien à cacher. Mais tu as mal compris. Le but ce n’est pas le contrôle, mais la sécurité de la famille. »

« Fin de la vie privée aussi dans la famille. Le NSA et ses pairs vous remercient de votre aide. »

Per-Félicien voit que l’oncle et la tante échangent un regard rapide, mais ils ne rétorquent rien. Les filles commencent à discuter à voix basse, et Per-Félicien se met à lire le roman.

Le soir les trois jeunes sont assis devant l’ordinateur de Cathy.

« Regarde ! Quinou2014 a mis en route plusieurs exemplaires de 1984. Génial ! Celui-ci a déjà voyagé loin ! » Cathy pointe avec la souris sur un livre qui est arrivé à New York. « Et celui-là à Berlin. Et un autre à Cracovie. »

« J’ai hâte de lire ce roman. » Julia se tourne vers son frère. « Tu t’es plongé dans ce livre toute la journée. Parle-nous-en ! »

« Pour vous faire un court résumé… Le roman a été écrit par Orwell en 1948. Le personnage principal Winston Smith vit à Londres en 1984 dans l’état de l’Océanie sous le règne totalitaire de Big Brother et du Parti. Winston travaille au Ministère de la Vérité où on confisque, détruit, réécrit et redistribue des documents du passé pour qu’ils soient à tout moment en accord avec la politique actuelle du Parti. Il y a des télécrans partout, des télés avec des caméras et micros qui surveillent tout le monde, non seulement en public, mais aussi chez eux, et qui peuvent s’adresser par haut-parleur à chaque personne surveillée. Les personnes qui déplaisent au Parti sont arrêtées et après elles se volatilisent. »

« Incroyable ! Orwell l’a imaginé en 1948 ? » Cathy est sidérée. « Aujourd’hui, en Angleterre, il y a plusieurs millions de caméras de surveillance. Beaucoup sont équipées d’un haut parleur pour diffuser des ordres aux gens surveillés. Un jour j’entendais une caméra au centre ville ordonner à une femme de ramasser une feuille de papier qu’elle avait perdue. »

Julia fait un sourire coquin. « Tu me montres où se trouve cette caméra qui parle ? Je voudrais bien l’essayer. »

« Bien sûr mais tu dois faire ton expérience sans moi. Imagine juste que mon père apprenne que la voix d’une caméra a aboyé après moi au vu et au su de tout le monde. Ça me fait froid dans le dos. » Cathy frissonne. » J’en ai déjà marre de l’appli de papa sur mon téléphone. Mais si je ne l’accepte pas, il trouve ça louche. »

« C’est vraiment extrême que ton père te traque. » Julia hoche la tête.

« Tu penses ? » Cathy tape quelques mots sur Google. « Regardez ici alors ! »

Ce qui apparaît sur l’écran sont des articles sur la surveillance des enfants et des ados. Sur des parents qui fixent un bracelet au poignet de leurs enfants pour les géolocaliser… Sur les puces électroniques qui sont cousues aux vêtements dans le même but… Sur les écoles dans de nombreux pays où de telles puces électroniques dans les vêtements des élèves sont obligatoires… Sur les jolis ours en peluche équipés d’une caméra et d’un micro invisible…

« Distribuons de tels nounours à tous les enfants pour que les petits apprennent à aimer la surveillance. » Propose Per-Félicien sur le ton de l’ironie. « Euh, au fait, ça aurait été une bonne idée pour les Espions en Océanie, l’organisation où les enfants sont entrainés à dénoncer à la Police de la Pensée tous les personnes qui se révèlent être déviants et en opposition du Parti, même leurs propres parents. Chez Orwell les petits Espions reçoivent des cornets acoustiques. Dans le cadre de la préparation ludique à leur future mission ils les utilisent pour écouter par les trous de serrures. »

Per-Félicien jette un coup d’oeil sur Julia qui semble lire quelque chose sur l’ordinateur. « Tu n’es pas intéressée par ce que je raconte du roman ? »

« Mais si ! On peut faire deux choses en même temps, non ? » Julia regarde son frère et lève les yeux au ciel. « Je viens juste de voir que celui qui a trouvé le livre à New York a écrit un commentaire. Écoutez ça ! «

Une lecture effrayante. Big Brother chez Orwell c’est le Parti. Aujourd’hui Big Brother peut être un gouvernement autant que les multinationales. Ils nous traquent partout dans notre vie. Ils enregistrent nos habitudes sur Internet, nos activités et nos contacts sur les réseaux sociaux, ils fouillent dans nos mails, surveillent notre vie par de nombreuses applications sur nos smartphones et nos achats par les cartes de fidélité. Sans oublier les enregistrements par les caméras de surveillance. Et tout ça nous laisse plus ou moins indifférents ? Lisez 1984 !

Un court silence s’installe puis Cathy prend la parole. « Indifférent, non. Mais on s’adapte. »

« Tiens ! Cette personne à New York a ajouté une note ! » Julia le lit à haute voix.

Dernières nouvelles :

En Thaïlande, où la junte militaire a restreint les libertés publiques, censuré la presse et arrêté des opposants à la dictature, le roman 1984 est devenu un symbole de résistance. Les manifestants descendent dans la rue en lisant silencieusement le livre d’Orwell.

Cette semaine le magazine de bord de Philippines Airlines a recommandé à ses passagers en route pour la Thaïlande de ne pas apporter le roman 1984 d’Orwell, pour éviter d’être pris pour un opposant à la junte militaire.

« Qu’en penses-tu, Cathy ? On s’adapte ? » Per-Félicien la regarde, pensif. « Peut-être devrions-nous mettre en route pour la Thaïlande des exemplaires de l’édition Penguin ? »

« Demain matin je veux déposer notre livre sous l’oeil de la caméra de surveillance au centre ville. » Julia semble sérieuse et déterminée.

Le lendemain après-midi on peut lire un nouveau commentaire sur le livre sur le site de BookCrossing :

Nous sommes désolés mais ce livre est perdu. Ce matin nous avons déposé cet exemplaire de 1984 sur un banc sous l’oeil d’une caméra parlante pour tester si l’opérateur de caméra nous demande de le remporter. Mais la caméra n’a pas réagi. Peu après une femme s’est approchée du banc. Elle a pris le livre, l’a regardé et feuilleté. Tout à coup elle s’est tournée vers la poubelle et elle a jeté le livre dedans. Après son départ nous avons essayé d’ouvrir la poubelle pour récupérer le livre. Mais la caméra nous a aboyé d’arrêter immédiatement, dans le cas contraire notre photo serait utilisée pour la constitution d’un fichier. Nous nous sommes enfuies. Encore désolés.

Julia ouvre le livre qu’ils ont acheté à la librairie et se met à lire.

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